
De la dualité des crises réputationnelles
A l’ère de l’hyper-libéralisation du marché de l’information, la crise réputationnelle apparaît comme l’une des principales menaces pour les entreprises et personnalités publiques. Mais, concrètement, de quoi parle-t-on quand l’on dit « crise réputationnelle » ? D’ailleurs, les crises réputationnelles sont-elles toujours de même nature ? Et, bien sûr, comment y répondre ?
Qu’est-ce qu’une crise réputationnelle ?
On appelle communément « crise réputationnelle » la période de tension conflictuelle durant laquelle le capital réputationnel d’une entité (personne morale ou physique) se trouve mis en péril. Cette mise en péril est la plupart du temps le fait d’une ou plusieurs entités tierces (crise réputationnelle hexogène), mais elle peut également avoir pour origine l’action d’un membre de l’entité concernée par la crise (crise réputationnelle endogène).
Le capital réputationnel étant un actif immatériel, la crise réputationnelle constitue un phénomène à caractère essentiellement informationnel. En ce sens que les atteintes au capital réputationnel de l’entité concernée par la crise se présentent habituellement sous la forme d’informations diverses, micro-récits, témoignages, articles, tribunes, tweets, photos, vidéos, discours, pression médiatique ou populaire. Cette masse d’informations pourra, par la suite et dans les cas les plus graves, se matérialiser en actes plus ou moins symboliques, plus ou moins collectifs : manifestations, campagnes de boycott, class action, procès. Il n’est ainsi pas surprenant que l’hyper-libéralisation du marché de l’information à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés soit un terreau fertile à la multiplication des crises réputationnelles.
Les conséquences des crises réputationnelles sont diverses : chute du cours en bourse, érosion des parts de marché, difficulté à attirer et retenir les meilleurs talents, etc. S’appuyant sur une étude menée par le Forum économique mondial, Deloitte relève, dans un rapport paru en 2014, qu’en moyenne 25% de la valeur d’une entreprise est liée à sa réputation. Parmi les entreprises effectivement confrontées à une crise réputationnelle, près de la moitié ont constaté une baisse de leurs recettes et une diminution de la valeur de leur marque. Et si, pour 87% des dirigeants interrogés par le cabinet d’audit, le risque de réputation est une problématique stratégique, 88% le considèrent comme un défi clé. A l’ère des réseaux sociaux et de la défiance généralisée, la crise réputationnelle apparaît comme l’une des principales menaces pour les organisations.
Faute réputationnelle vs attaque réputationnelle
La crise réputationnelle ou « crise de réputation » est un concept qui s’est rapidement répandu dans les domaines de la communication, du marketing, des relations publiques ou de la politique. Malheureusement, il est souvent employé pour rendre compte de phénomènes parfois très différents. Aussi, précisons que, dans l’ensemble, les crises réputationnelles se divisent en deux catégories : d’un côté, les « fautes réputationnelles » et, de l’autre, les « attaques réputationnelles ».
Dans la grande majorité des cas, quand l’on parle de crises réputationnelles, on fait référence à des « fautes réputationnelles ». On parle de « faute réputationnelle » lorsque la crise est déclenchée par une pratique, un événement, un discours objectivement porté par l’entité concernée par la crise. Qu’ils s’agissent d’erreurs de communication, de vidéos compromettantes, de pratiques non-éthiques ou tout simplement illégales, les fautes réputationnelles se présentent sous de multiples formes. Cela étant, elles se caractérisent nécessairement par la mise en lumière d’un décalage entre les valeurs d’une partie du public (la société civile, une communauté, les clients) et les valeurs véhiculées par l’objet de la discorde.
A contrario, on parle « d’attaques réputationnelles » lorsque la crise réputationnelle a pour origine l’action d’un ou plusieurs groupes minoritaires de pression dont l’objectif est de déstabiliser telle ou telle entité (entreprise, personnalité publique, etc.). Dans les faits, les fautes réputationnelles et attaques réputationnelles peuvent se confondre ; la différence fondamentale réside dans l’intention des déclencheurs de la crise. Dans le cas des attaques réputationnelles, les éventuelles fautes commises par l’entité concernée et mises en lumière lors de la crise ne sont autres que des moyens, voire des prétextes. En avril 2018, au Maroc, un mouvement de protestation a été lancé sur Facebook. Dans les grandes lignes, il était question d’une incitation au boycott de trois marques régulièrement accusées de profiter de leur position dominante. Parmi ces trois marques, se trouvait la multinationale française de l’agroalimentaire, Danone. En dernière instance, il s’est avéré que ce boycott aurait été organisé par des groupes islamistes déterminés à déstabiliser la monarchie en place. Mais le mal était fait : le Groupe Danone a perdu 178 millions d’euros dans la bataille.
Selon sa nature, la crise réputationnelle nécessite des réponses différentes
Mais pourquoi est-il si important de distinguer « faute réputationnelle » et « attaque réputationnelle » ? Pour la simple et bonne raison que ces deux types de crises réputationnelles nécessitent des réponses différentes. En effet, répondre à une attaque réputationnelle comme s’il s’agissait d’une faute réputationnelle (ce qui est, malheureusement, souvent le cas) est une erreur, et inversement.
Comment répondre à une faute réputationnelle ? Pour faire simple, cela dépend de l’ampleur de la faute et donc de la crise, ainsi que de la nature du public manifestant son indignation. Prenons une marque, par exemple : il est possible que la crise réputationnelle qu’elle subit et qui s’avère avoir été déclenchée par une faute qu’elle a commise ne touche pas son public-cible mais un public peut-être plus volumineux que son public-cible mais auquel elle n’a pas vocation à s’adresser. Dans ce cas précis, il peut s’avérer judicieux de ne pas répondre de manière mécanique à la crise. Dans les autres cas, la réponse idoine à une crise déclenchée par une faute réputationnelle consistera essentiellement à présenter des excuses et à s’engager à ce que cette « faute » ne se reproduise pas – nous reviendrons sur ce point dans un futur article.
A l’inverse, présenter des excuses en réponse à une attaque réputationnelle constituerait une véritable erreur stratégique. Face à une attaque réputationnelle, il est crucial que l’entité concernée par la crise ne joue pas le jeu qui lui est imposé par les groupes minoritaires de pression à l’origine de l’attaque. En effet, le jeu qui est proposé est celui du bourreau et de la victime : le public étant évidemment la victime et l’entité concernée par la crise le bourreau. Dans le cas des attaques réputationnelles, il est fondamental que la personne morale ou physique victime de l’attaque sorte de ce schéma imposé. Sa réponse devra être forte et structurée pour éviter de prêter le flanc aux détracteurs et ainsi endosser le rôle du coupable tout désigné.
Par Quentin Mermet, le 18 avril 2020.