
Flex working : halte à la pensée magique
Evitons deux écueils : le premier consiste à considérer le flex office comme l’espace ultime de la Nouvelle Economie ; le second, à considérer ce type d’aménagement de l’espace organisationnel comme intrinsèquement dysfonctionnel. Loin de la pensée magique, le flex working ne constitue ni une pratique consubstantiellement bénéfique ni une pratique consubstantiellement maléfique.
De l’open space au flex office : petite histoire de l’espace organisationnel
Au début des années 50, apparaît un nouveau concept de bureau qui tend à promouvoir une façon différente de travailler. Appelé également « bureau paysager », l’open space résulte de la déconstruction de l’espace de bureau traditionnel : tout ce qui représente une barrière physique à la communication comme les portes et les cloisons est éliminé, car il s’agit de créer un espace transparent et fluide où rien n’entrave la bonne circulation des informations.
L’idée-force qui sous-tend l’émergence de l’open space est qu’existe une corrélation positive entre décloisonnement et productivité. La transparence et l’ouverture font ainsi l’objet d’un codage symbolique valorisant : « espace ouvert » devient synonyme « d’espace efficace ». Si le bureau paysager a, un temps, été considéré comme une avancée par rapport à la « rigidité oppressante des bureaux alignés », les années 70 ont montré qu’il peut être source de stress lié à l’impossibilité de bénéficier d’une zone de retrait. En éliminant à la fois le référentiel spatial et le référentiel social, le bureau paysager contraint les employés à se contrôler en permanence.
Ces dernières années, de nombreuses organisations ont commencé à transformer leurs open spaces en flex offices. Au-delà de la réduction des coûts du foncier, l’objectif était de pallier aux défaillances du bureau paysager en allouant à chaque espace une fonction spécifique. Les bureaux furent dépersonnalisés, les collaborateurs assimilés à des travailleurs nomades : le flex working était né.
Les organisations sont-elles victimes d’un effet de mode ?
A l’heure du bilan, les résultats sont mitigés. Alison Hirst, par exemple, décrit l’émergence de structures sociales informelles au sein de ces dispositifs. Elle qualifie de settlers (colons) les flex workers qui ont tendance à occuper de manière systématique un certain espace de travail dans l’optique de reconstituer la stabilité du bureau personnel. Les travailleurs mobiles jouant, en quelque sorte, le jeu du hot desking sont quant à eux identifiés à des vagrants (vagabonds). Ceux-ci, ne pouvant profiter des bénéfices résultant de l’occupation d’un espace stable, se trouvent contraints de s’adapter à leur environnement.
Et dans certaines entreprises, l’activity-base workplace apparaît prioritairement conçu pour d’éventuels visiteurs ou clients. Par-là, le flex office serait à l’espace de bureau ce que l’appartement témoin serait au logement : un espace essentiellement esthétique censé partager au visiteur l’expérience d’une atmosphère singulière et attractive. Mais concevoir son espace de travail comme une vitrine consiste à faire des hommes et des femmes qui y travaillent de simples mannequins. Bien d’autres organisations sont passées au flex office pour la simple et bonne raison que ce type d’aménagement des espaces de travail était « à la mode » et semblait incarner les valeurs de la Nouvelle Economie : flexibilité, transparence, efficience.
Une gestion pragmatique et réaliste de l’espace organisationnel se doit de lutter contre l’isomorphie spatiale sur laquelle s’appuie tout un discours préfabriqué vantant les mérites de tel ou tel type d’aménagement sans que ces mérites ne soient attestés par des études sérieuses et approfondies. N’oublions jamais que le flex office demeure un espace de travail et qu’en ce sens il se doit de répondre à des besoins d’ordre fonctionnel.
Au commencement, était le besoin
Un projet de transformation des espaces de travail doit nécessairement inclure une étude complète des besoins humains et professionnels des travailleurs. Si tel n’est pas le cas, les deux principaux contrecoups de la mise en place du flex working sont : à l’échelle organisationnelle, l’érosion de l’engagement ; et à l’échelle individuelle, le sentiment d’insécurité.
Pour éviter d’engager son organisation dans un projet d’aménagement qui ne corresponde ni aux spécificités de son secteur ni aux besoins de ses employés, il convient d’impliquer dès le lancement d’un tel projet l’ensemble de ses collaborateurs. Cela aura un double effet : d’une part, on s’assure de recueillir le besoin à la source et, d’autre part, on suscite un sentiment collectif d’appartenance qui tend à minimiser le risque de rejet du dispositif.
Cette participation des collaborateurs doit également s’accompagner d’une réelle formation aux pratiques de travail (individuelles et collectives) propres au desk sharing. Plus les collaborateurs sont associés à la conception de leur environnement, plus cet environnement aura de chances d’emporter l’adhésion. Tout aménagement des espaces de travail doit donc être considéré comme un processus social dans le cadre duquel la question de l’expression des salariés doit occuper une place centrale.
Ce n’est pas le travail qui s’adapte à l’espace, c’est l’espace qui s’adapte au travail
Aujourd’hui, les entreprises doivent trouver l’équilibre entre « espace impersonnel » et « espace siloté ». L’enjeu est ainsi d’accéder à la transversalité sans succomber à l’atmosphère aseptisée typique des grands plateaux. Dans ce cadre, l’hypothétique corrélation systémique entre abattement des cloisons et communication se doit d’être définitivement battue en brèche, et ce depuis les critiques émises à l’encontre des open spaces dès les années 70.
Le flex office a, en partie, été conçu pour répondre aux nombreux dysfonctionnements induits par le bureau paysager et constitue dès lors une innovation managériale. Encore faut-il sortir du postulat selon lequel le flex office se présente nécessairement sous la forme d’un vaste espace froid et neutre digne d’une bibliothèque universitaire ou d’un hall de gare. Il se pourrait, ainsi, qu’une légère fragmentation de l’espace permette de réduire l’impact sur les collaborateurs des multiples effets négatifs (surveillance, repli sur soi, etc.) inhérents à l’excès de transparence.
L’idéal serait, par ailleurs, de rester en contact avec le cabinet chargé de l’aménagement du flex office pour, au besoin, rectifier le tir. Le flex office invite les travailleurs à se flexibiliser ; en contrepartie, il apparaît normal qu’on puisse attendre d’un tel dispositif qu’il puisse être transformé en fonction de l’évolution des pratiques de travail et de la manière dont les flex workers appréhendent leur environnement. Autrement dit, il faut faire en sorte que ce soit l’espace qui s’adapte au travail et non le travail qui s’adapte à l’espace. Aussi, convient-il d’opter pour une stratégie d’amélioration continue ou de test & learn, en partant du principe que l’aménagement d’un espace n’est jamais définitif et nécessite d’être constamment requestionné à la lumière des besoins des travailleurs. L’espace n’est rien d’autre qu’un outil : il doit faciliter le travail, non le contraindre.
Par Quentin Mermet, le 12 janvier 2020.