La stratégie est-elle un art ou une science ?

La stratégie est-elle un art dépendant du génie du stratège ou une science qui répond à des principes immuables ? A la fois art et science, tout en étant ni art ni science, la stratégie se présente avant tout comme une praxis.

 

La stratégie est un art ?

Quand on dit que la stratégie est un art, à quoi fait-on référence ? Autrement dit, qu’entend-on par « art » ? Dans le cas de la stratégie ou de toute autre activité non considérée comme artistique, on parle d’art lorsque les modalités de déploiement de cette activité n’apparaissent souffrir d’aucun principe universel, d’aucune loi. Dans cette veine, la stratégie serait un art au sens où elle ne pourrait être circonscrite à un champ mesurable, clos, connu, identifiable, quantifiable et non soumis à l’aléatoire.

Cette conception de la stratégie comme art fait, d’une certaine manière, écho à l’évolution d’un monde socio-économique qui tend à devenir de plus en plus volatile, incertain, complexe et ambigu. On pourrait ainsi tout à fait considérer que ce fameux « monde VUCA » cher aux praticiens et commentateurs des pratiques managériales contemporaines n’est rien d’autre que la transposition du « brouillard de guerre » au champ managérial. N’oublions pas, en effet, qu’avant d’être une notion de gestion, la stratégie a pour sens premier la conduite des armées. Il n’est ainsi pas étonnant que le célèbre traité de stratégie militaire de Sun Tzu soit intitulé L’Art de la Guerre.

L’idée-force de la stratégie comme art est que le stratège doit faire preuve d’un savoir dans l’action dont la plus grande partie demeure tacite. Et c’est à travers son expérience, son intuition, son génie propre que le stratège parvient à repérer, dans le brouillard, une poignée de signaux faibles dont l’interprétation lui permettra d’élaborer le plan d’action idoine.

 

La stratégie est une science ?

A l’inverse, concevoir la stratégie comme une science consiste à affirmer que l’ensemble des activités de gestion s’inscrit dans un cadre qu’il est possible, non plus d’interpréter, mais d’analyser à la lumière du référentiel épistémologique poppérien. Et nombreux sont encore aujourd’hui les chercheurs qui conçoivent les sciences de gestion comme ayant pour objectif de « découvrir » les lois fondamentales des pratiques managériales.

Selon eux, ne se fier qu’à l’intuition du stratège ou à son prétendu génie, équivaut à renoncer à la compréhension des structures qui architecturent le phénomène « gestion ». La théorie de l’Agence et celle des Coûts de Transaction sont de parfaits exemples d’une conception scientifique de la gestion et, par extension, de la stratégie. L’on peut même remonter aux travaux de Frederick Winslow Taylor et Henri Fayol pour constater que les sciences de gestion n’ont eu de cesse, au cours du siècle passé, de tenter de pénétrer le secret qui se cache derrière la « bonne gestion ».

De fait, concevoir la stratégie comme une science consiste à considérer qu’existe une « bonne gestion », qu’existe une « bonne stratégie », et que cette « bonne gestion » et cette « bonne stratégie » sont le fruit d’un agencement précis de paramètres sur lesquels le « bon gestionnaire » ou le « bon stratège » doit jouer pour s’assurer du développement optimal de sa gestion ou de sa stratégie. Ce type de raisonnement permet d’envisager que le futur de la stratégie passera par l’essor des technologies de deep learning. Il n’est ainsi pas impossible que, d’ici quelques années, certaines entreprises décident de confier leur direction générale à une intelligence artificielle dont les capacités de computation dépassent de très loin celles du cerveau humain.

 

La stratégie est une praxis !

Mais, depuis la publication de La Construction sociale de la Réalité (ouvrage séminal de Peter Berger et Thomas Luckmann publié en 1966), l’on ne peut décemment plus poser sur les phénomènes sociaux – dont la stratégie fait partie – un regard positif. La réalité, ou plutôt notre conception de la réalité, n’est autre que le produit de l’interaction entre l’esprit humain et cette « réalité ». Et les organisations sont des collectifs d’individus dont les frontières sont en permanence négociées par les acteurs eux-mêmes. De la sorte, ne peut-il y avoir d’observation pure des faits sociaux. Peut-on, alors, encore parler de science ?

La stratégie se fabrique. Elle n’est ni l’œuvre génial d’un stratège-démiurge ni le produit d’un savant calcul implacable et froid. Bien souvent, la stratégie est faite d’une succession de microdécisions plus ou moins informelles. C’est dans cette direction que s’oriente le courant de la Strategy as Practice. Formalisée par Richard Whittington à la fin des années 1990, la Strategy as Practice met l’accent sur les processus pratiques et les activités quotidiennes, et replace l’acteur au cœur de l’activité stratégique. La stratégie, étudiée au prisme des pratiques, est donc vue comme une pratique sociale dans laquelle le rôle des acteurs-stratèges est prépondérant.

Alors, la stratégie est-elle un art ou une science ? Eh bien, un peu des deux, voire beaucoup des deux, tout en étant aucun des deux. Mais ne reculons pas devant cet effort capital qu’est celui de la définition et tâchons de circonscrire le champ du phénomène stratégique. Aussi, si nous devions la définir en une formule synthétique, nous dirions que la stratégie est la praxis consistant, d’une part, à penser l’action et, d’autre part, à agir, en vue de la réalisation d’un état désiré.

 

Par Quentin Mermet, le 1er mars 2020.

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